Forum Arkhan

Cela faisait bien des mois qu'elle n'avait plus revu des étendues d'herbes. Après tout ce temps, elle reprenait plaisir à sentir l'odeur de la terre mouillée. Le sable n'avait pas une odeur aussi riche et forte.

Elle entra dans Jedda comme une étrangère, de nuit et vêtue de tissus colorés et larges, dans laquelle sa silhouette amincie était invisible.

A l'auberge, des soupirs intenses se firent entendre pendant son repas. Les quelques rares encore debout à cette heure la regardaient étrangement. Elle les ignora, trop concentrée sur son assiette.

Elle demanda une chambre pour la nuit, et l'aubergiste en profita pour lui demander d'où elle venait ainsi attifée. Sa réponse les surprit tous.

_ Du Grand Désert.

Elle défit sa coiffe et secoua ses cheveux. Des grains de sable tombèrent en cascade sur le sol. Elle les laissa sur leur faim et partit se coucher.

En se couchant sur un matelas de plumes, elle tenta d'imaginer comment raconter, les étendues brûlantes, les marches interminables, de jour comme de nuit, le vol des phénix sur l'azur, les reflets miroitants des scorpions géants, la peur du perfide naga, le déhanchement dangereux du scorpial, la beauté fulminante du blaireau des laves, les étoiles brillantes sur le reg glacé, les montagnes de la chaîne du Fléau se découpant au loin, et tellement d'autres belles choses, que la jeune femme s'endormit avant de parvenir à toutes les compter.

Une silouhette ? Yoki avait du mal à le croire.

Elle n'était donc pas la seule à s'aventurer aussi profondément dans les montagnes du fléau ? Un autre qu'elle ressentait ce besoin de découvrir les étendues inexplorées ? Elle n'en croyait pas ses yeux et attendit de la fin du vallon cendrée que l'aventurier s'avance davantage.

Celui ci avançait d'un pas sûr dans la plaine, entouré de vêtements terne. L'avait il repéré ? Grandes chances que oui. Arrivé à quelques lieux elle aperçut distinctement la courbure d'un arc dans le dos de l'aventurier. Ainsi que la couleur de ses vêtements. Gris. Totalement gris.

Yoki jura en reconnaissant l'aventurier gris : Ronce ! Ronce le pessimiste, Ronce vous-n'êtes-qu'une-jeunette-sans-expériences ! Ronce qui avait tenté de la persuader de renoncer à son Grand Projet. Ah, elle avait bien ri en arrivant à Belerim, et avait aussi eu pour lui une petite pensée en traversant le Grand Désert du Fléau sans une seule égratignure sans une seule égratignure.

Mais le voilà qui s'avançait dans la petite vallée rocailleuse, perdue au milieu de nulle part, et Yoki ne pouvait pas se permettre de lui tourner le dos. Sans compter qu'il l'avait sûrement repéré également. Elle se saisit de son anneau de communication et s'éclaircit la gorge avant de parler :

_ Mrrrh mmmh ... Bien le bonjour à toi, ami aventurier ! Un curieux hasard de se rencontrer dans ces étendues déchiquetées, n'est ce pas ?

_ Euuuuuh, ben, comment dire ? Lyphanie, elle faisait partie des Alchimistes Républicains, c'est vrai mais elle était marchande. Puis elle a plus donné de nouvelles notamment quand on a fusionné avec les Séneçons.
Voilà, quoi, bref, euh, non, non, je n'ai pas de nouvelles de Lyphanie et pourtant j'ai cherché à en avoir mais bon.

La réponse de l'homme amusa Yoki. Il semblait quelque peu surpris et déstabilisé.

_ Au fait, pour la suite de ton périple, continue droit au sud de là où je t'ai croisé, tu tomberas sur un petit village où te reposer. De là, partir du village droit vers le sud, et tomber sur la route reliant le royaume d'Anton à Stella, mais attention aux beroboars dans les collines. Bonne route et à la revoyure, baroudeur !

Yoki rangea son anneau en souriant, repensant à cette rencontre au milieu de nulle part. Il était parfois bon de s'apercevoir que l'on pouvait se tromper sur la nature des gens.

La route avait été plus longue que prévu, et l'errance dans le reg, cauchemardesque. Mais elle était enfin partie, avait enfin repris la route. Juste à temps d'ailleurs. Car un nouvel étranger parcourait également le désert, et avait pris quelques jours d'avance sur elle. Elle avait découvert sa piste récemment et marchait depuis deux jours pour le rattraper.

Elle marchait le jour, doucement, et marchait la nuit, par grandes foulées. La lune maudite brillait sur le reg. Sur le sommet du promontoire rocheux qu'elle venait de franchir, son regard erra sur l'étendue plate et constellée d'éclats minéraux. Alors elle l'aperçut au loin. Son ombre rendue gigantesque par la lune le rendait facilement discernable. Il n'était désormais plus très loin d'elle. Et aurait pu le rattraper à la mi-journée.

Mais son regard fut attiré par autre chose. Quelque chose qui ne semblait pas ... naturel. Mère Nature a ses formes, et aussi discordantes qu'elles peuvent paraître, elles ont toutes leurs raisons d'être et flattent le regard pour paraître aussi discrètes que possible. Mais pas là. Ce que Yokinoss avait devant les yeux, c'est un large étendue de reg, totalement droite. Rectiligne. En plein désert. Inconcevable, et pourtant ?

Délaissant le pistage du nouvel arrivant, Yoki bifurqua vers cette étrange route. Comment l'appelait autrement, elle qui devait forcément mener quelque part...

Arrivée sur la bordure Est du Grand Désert du Fléau, Yoki fut prise d'un étrange sentiment. Un sentiment inhabituel, sur lequel elle n'arrivait pas à mettre de nom. Elle avait apprise à écouter ses sentiments, et l'un d'entre eux se manifestait en ce moment même. Mais que cherchait-il à lui dire ?

Elle resta une partie de la journée sur le bord de la dernière dune, écoutant le vent, écoutant son coeur, observant les signes. Les scorpions venaient s'aventuraient autour d'elle, guettant des bribes de nourriture. Elle jouait avec eux, assise dans l'herbe, les effrayant du bout de son bâton. Les nuages, soudain plus nombreux, et chargés d'humidité, volaient au loin devant elle. Quelques rapaces planaient, observant avec soin le moindre petit mouvement dans l'herbe haute.

Cela dura une bonne partie de la journée, puis Yoki, remise de son malaise, se leva, et décida de tourner le dos à la plaine. Un seul pas suffit à lui faire comprendre son erreur. Une rafale provenant du Grand Désert, chargée de sable piquant, lui gifla le visage sans prévenir, puis retomba aussitôt.

Yokinoss tomba à genoux, avalant de grandes bouffées d'air, tentant de retenir le flot de larmes qui lui venait aux yeux et brouillait sa vision. Ses bras tremblaient dans le sable. Elle était restée plusieurs heures sans vouloir comprendre, alors qu'un seul instant avait suffi, elle s'était juste refusée à le comprendre.

Le message était clair : le Désert la repoussait.

Laissant quelques larmes couler le long de ses joues sèches, y dessinant des traits moites, Yoki comprit. Sa tristesse était profonde, et ambigüe. Le désert avait été sa raison de vivre ces derniers temps, et voilà que la simple vision d'une étendue d'herbe suffisait à provoquer en elle un sentiment de nostalgie intense, suffisant à la mettre en émoi.

Elle ne faisait pas partie de ce Désert. Elle avait beau l'avoir traversé plusieurs fois, peinée, assoiffée, enjouée, elle n'y était pas née. Elle n'avait pas grandi en son sein. Et celui-ci la renvoyait aujourd'hui vers l'Extérieur.

Devant elle, de grandes plaines vertes s'étendaient. Vertes, vivantes, verdoyantes. La peine alors laissa place à un nouveau sentiment, et une sourire chaleureux s'installa sous les larmes. Elle se releva, une nouvelle énergie coulant dans ses veines.

Changer n'est pas facile, l'accepter est encore plus dur. Aujourd'hui, Yokinoss acceptait de changer, acceptait le constat dur de devoir renoncer. De devoir grandir.

Son premier, et nouveau geste fut d'aller courir dans l'herbe.

La route l'avait épuisé. Maudit Masch ! Etre obligé de faire un détour par la forêt, et les ours, pour éviter de tomber sous le coups de gourdin de ce gredin...

Mais sitôt après Délidar, la route redevenait ce qu'elle était : dangereuse, chasse gardée des monstres errant... Et ? Il fallait bien qu'elle avance. Le dédommagement promis par l'apprenti assassin l'attendait non loin.

Soudainement elle fit halte. Le vent venait de se lever, courbant légèrement les herbes hautes, dévoilant l'éclat de la lune. Et là bas, au loin, une silhouette se tenait début. Sa chevelure blanche brillant presque sous l'éclat lunaire. Tout doucement, elle se rapprocha. Ami ou ennemi ?

Une chevelure blanche, un arc, et immobile, l'homme attendait, son arme brandie devant lui, mais pas dans la direction de Yokinoss. Cette dernière n'hésita pas à marcher franchement vers lui, quand enfin arrivée à bonne distance, elle remarqua les tatouages verts sur le bras de l'homme.

Morandir ! Son frère lui en avait fait la description. Il recherchait des guides pour l'escorter en des lieux inconnus, et Yoki s'était portée volontaire pour l'escorter dans le Grand Désert.

Elle s'apprêtait à le héler, mais retint son geste en observant un étrange mouvement sur la gauche de l'homme. Prédateur ! Elle n'eut hélas pas le temps de crier que la bête lui sautait déjà dessus. Un cri étranglé, puis plus rien.

Elle ne bougea pas d'un poil, mais se prépara à galoper au besoin, et attendit. Quelques instants plus tard, le monstre s'éloignait, délaissant sa proie. Mais pas suffisamment pour que la jeune rôdeuse se sente capable d'aller secourir l'homme. Yoki s'accroupit pour la nuit. Tout vient à point à qui sait attendre, et Morandir aurait sûrement besoin d'aide...