Vous n'êtes pas identifié.
« sssssssss… vil… ssssivilisasssssion… »
Ces mots susurrés furent les premiers à l’entrée de la cité. Et l’orage comme en écho vomit quant à lui des sons sourds et caverneux ; ils répondaient à l’unisson aux syllabes sifflantes. La peur pouvait dès lors se lire sur les faces blêmes, citadines. Les volets claquèrent au passage de l’ombre indéfinie ; le vent aveugle et chargé de pluie balaya de souffles taquins les mèches poisseuses de Belakassiah. Les osselets rebelles s’entrechoquèrent augurant sans doute des jours sombres pour ceux et celles qui croiseraient la Maudite. Les perles nouées en ce cheveu hirsute fouettaient l’Etrangère. Un rictus dévoila des dents saines et acérées ; un filet de bave ou peut-être de venin dégoulinait sur le joli minois. De puissants crochets effilés se rétractèrent incitant la prudence. D’autres volets claquèrent et ce n’était pas le vent.
« ssssssssss »
Un appendice noir et fourchu s’agitait frénétiquement. Le Démon en elle réclamait son dû.
« sssssssoif »
Une envie inextinguible gagnait depuis de nombreuses lunes la Chose. Sa pâleur était telle qu’à son passage les miliciens, les bandits, qui semblaient foison en ces murs fuyaient sans mot dire.
« Maudiiiiiire… »
Les cloches retentirent alors. La saison maudite était de retour certes et elles sonnaient maintenant à s’en rompre le marteau, apeurées, affolées de l’intrusion bestiale.
Ce glas glaçait ainsi l’ensemble de la cité. L’Apparition spectrale témoignait du retour précoce des aberrations dans la campagne bélérine. Un vent froid éparpilla quelques feuillets dans la ruelle désertée.
Belakassiah songea qu’il lui avait fallu traverser des sables sans âme pour se trouver désormais dans une cité vide. La cité n’était que coquille à ses yeux ; ville dortoir que si l’envie lui prenait la Maudite aurait su briser, aspirer la substantifique moelle. La fébrilité alarmante aurait pu y être inscrite à l’entrée. Des maisons détruites, des quartiers en ruines témoignaient de cette passivité. Le manque de fierté et de moyens s’affichait dans toute sa splendeur. Les autorités delgadoriennes semblaient peu enclines à contrer ou à éradiquer les fléaux. Une meute de rats traversa la rue noircie. Belakassiah se saisit de l’un des rongeurs et l’enfourna dans sa bouche. Un os claqua sous la langue ; un résidu glaireux s’éparpilla en d’infimes projections sur les muqueuses ; les papilles gustatives de la Chose s’en réjouirent.
« sssssssss… mollusssssques ssssssssans défenssssssses »
KABLAM
Une puissante décharge électrisa la scène ; Belakassiah se délectant, Belakassiah se repaissant de mammifères insignifiants, Belakassiah dévoilant un corps anthropomorphique. Le buste était bien celui d’une femme. Quant au reste…
KABLAM
Le ciel surchargé était strié de larges zébrures ; le ciel s’était doté d’un réseau complexe capillaire comme si le ciel lui-même fut une entité à part entière.
KABLAM
Les éclairs illuminaient le visage défait de la guerrière.
Ses mèches rousses devenaient alors grises puis blanches.
La pluie redoublant d’intensité déferlait et cinglait les murs de Delgador.
Belakachose émit un nouveau rictus.
« ssssssssss »
Les eaux charriaient la vermine.
La boue éclaboussait à chacune des ondulations de l’Etrangère. Quel physique étrange ! Qu’était-elle donc ? Rebut, démon, aberration ? En cet instant nul ne semblait vouloir le savoir. Elle errait libre et cette errance semblait pourtant investie d’un but.
« sssssssss »
La reptation fut plus aisée en ces ruelles humides ; Belakassiah, ou du moins ce qui semblait l’être, se faufila à l’insu des miliciens qui semblaient toutefois peu téméraires et répugnés à la chasser.
La chose croisa un regard connu. Un autre bandit de renom, une jeune femme, qui s’activait à la rapine. A présent, à la course à pied…
Les sens en alerte, la Chose poursuivit son chemin. Celui qu’Elle se traçait. Celui qu’Elle se devait de suivre comme une piste, comme un Appel.
Des gargouillements semblaient signifier de l’urgence de la mission ; l’Autre ne saurait attendre plus longuement. La récente mise à mort de Grenat l’avait mis de nouveau en appétit.
« Hum… sssss… qui dit Grenat, dîne !», pensa la Bête avec émoi.
Sur ce trait d’esprit, Belakassiah prit congé.
D’autres traits sporadiques l’encourageaient à poursuivre.
KABLAM KABLAM KABLAM
Les murs tremblèrent par trois fois. La foudre était tombée non loin. A l’ouest.
Une tour se dressait nonchalante, noire, parmi des arbres séculaires ; les éclairs semblaient dirigés vers ce paratonnerre artificiel, manufacture architecturale d’hommes au savoir perdu.
Les rétines de Belakassiah s’enflammèrent ; la pluie coulant sur ses yeux ne semblait pas même calmer le feu naissant.
« Suis la piste et agis, belle ophidienne.»
La Chose huma l’air chargé d’effluves.
« sssssssss »
La chair était légion. Partout. La ville regorgeait de légionnaires, de prétendants errants, de charlatans guerroyants. Des brebis affolées cherchant encore berger.
« sssssssss »
Seulement pas de berger à l’horizon ; les étoiles demeurent muettes. Et aucune à suivre… Désastre stellesi… Qui saurait y mettre fin ?
« sssssssss »
Les pluies cessèrent. Dans le silence et l’aube naissante, la nouvelle saison maudite vit le jour.
Un nouveau cycle commence. Une nouvelle mue. Un nouveau départ.
« ssssssssss »
« ssssssssss »
« ssssssssss »
La Chose fut absorbé de visions. La Chose contempla ses mains.
Y’en aurait-il cependant qui se souviendrait du temps où Belakassiah rendait la justice par l’Epée ? Y’en aurait-il qui se remémorerait du passé où ces mains procuraient plaisir et soin ?
« ssssssssss… Ottooooo… »
Belakassiah espérait encore lutter ; elle espérait saisir à nouveau une bouée, même plusieurs, celles d’un secours providentiel.
« … sssssauve moaaaaaa…»
Hors ligne
Cela faisait plus d'une saison maintenant qu'Otto errait de ports en ports à la recherche de la Lame Perdue. Il avait quasiment fait le tour du continent, s'était engueulé plus d'une fois avec l'usurier, et il commençait à perdre un espoir déjà mince, quand un docker de l'avant dernier port avant de se mordre la queue lui signala avoir croisé la sauvageonne. Il était catégorique, elle était sortie de Burdos et partie vers le Sud. Son passage ne les avait pas laissé indifférents, lui et ses collègues... Une rose que l'on ose pas toucher de peur de se piquer, selon ses termes. Aucun doute, c'était Elle.
Otto était donc parti dans les terres hostiles de l'Ouest, ne sachant où diriger ses pas. Il ne disposait pas des talents de pistage d'Akita, et se trouvait un peu démuni en ces lieux. Bien vite, il se rendit compte que la préoccupation principale ici était la survie. La région était saturée en bêtes affamées guettant le repos du guerrier... Alors Otto courut. Il traversa une forêt dense, sprinta dans la plaine, pataugea dans les marais qui délimitaient deux lacs tellement grands que l'on ne voyait pas leur rive opposée, fuit des espèces aussi rares qu'agressives, peina à nouveau en espace découvert, pour finalement trouver, à bout de souffle, un petit village fortifié coincé au milieu de nids d'araignées étranges, qui semblaient vivre en symbiose avec tout un peuple d'ours. Peu d'hommes devaient habiter ici tant la nature régnait en maîtresse intraitable.
Otto passa quelques temps à l'auberge pour se reposer, se ravitailler, et se renseigner sur la région. Vous vous rapprochez du centre du monde, lui avait-on répondu, il faut pas s'étonner de pas reconnaître la Terres de Hommes. Et pourtant, ce jeune archer silencieux qui sirotait sa bière dans le fond de la salle commune était bien arrivé là, lui...
Au matin, Otto partit explorer la région. Il tomba bien vite dans un embuscade tendue par ces kiwispiders dont lui avait parlé l'aubergiste. Il réussit à se repaître facilement des arkhanas de l'une d'entre elles. Délicieuse sensation qu'il avait presque oublié... Mais il comprit à ses dépends que le nombre était leur force, et les assauts vifs de trois de ses congénères suffirent à le mettre à genoux. Fuir. Fuir à nouveau. Déjà, leurs morsures troublaient ses sens. Le village était dans quelle direction déjà ? Se trainant entre les toiles qu'elles avaient tissé, tailladant les mailles du piège, il tomba nez à nez avec un cocon fraichement enveloppé autour d'une silhouette humanoïde. Sacré garde-manger pour de si petits êtres.
Le Khukuri d'Otto trancha facilement le Linceul. Belakassiah, sa Lame, son Aimée, sa Gardienne tomba dans ses bras, inerte. Otto n'osait y croire. Était-ce le venin des arachnées qui lui jouait des tours ? Elle était si belle ainsi endormie, inoffensive, innocente. Il fondit en larmes en la serrant contre lui. Une éternité. Une drôle de sensation. La Belle mutait en nuée de bébés araignées qui sortaient de son corps en perçant la chair. Otto se débattit, et assena rageusement deux coups de sa Lame. A chacun de ses gestes, les araignées disparaissaient, révélant les lacérations qu'il infligeait à sa vraie victime. Il se vengeait sans en avoir conscience, et de son délire s'écoulait le sang de son Amour meurtri. Encore un coup de Lame, puis un deuxième. Les araignées s'évaporaient mais d'autres revenaient sans cesse, jaillissant de son corps en un flot continu. Sa frustration confinée pendant tout ce temps explosait, le Démon ainsi réveillé transpirait de plaisir. Il exultait...
Otto chancela. Sa fureur avait réouvert ses propres blessures qui saignaient abondamment à présent. Autour de lui, il sentait la présence des kiwispiders qui attendaient patiemment qu'il s'épuise complètement. Son sang se mêlait à celui de sa Lame en une mare inquiétante. Sursaut du Démon, ou bien de lucidité, qui sait, il s'empara du corps de l'inconsciente, la chargea avec difficulté sur son épaule, et reprit sa course titubante en espérant qu'elle le mènerait au village...
Belakassiah était étendue sur un des lits du dortoir. Ses blessures avaient été maladroitement bandées, et sa respiration était hasardeuse. Otto, assit à ses côtés, contemplait son sommeil. Comment lui expliquer ? Que lui dire ? Heureusement, les entailles qu'il lui avait infligées étaient superficielles, et elle souffrait davantage des attaques des animaux sauvages. Mais sa science du combat et du corps humain ne la tromperait pas. Elle distinguerait sans mal les blessures causées par sa démence. Si seulement tout pouvait redevenir comme avant... Le calme reprenait ses droits, et la douleur se rappelait à lui. Exténué, il s'assoupit sur le bord du lit...
Dernière modification par Otto (13-10-2010 01:11:17)
Hors ligne
Eaux squameuses coassements caverneux frénétiques précarité bourbier.
Ruissellements lointains insignifiance eau dormante omniprésence sonorités.
Fleurs nacrées odeurs salines vapeurs suintantes pupes éphémères grossiers.
Herbes folles plantes fourragères sangsues hululements effroyables familiers.
Sang. Métal. Froid. Où était-elle? Quelque chose bougeait. Plusieurs.
Belakassiah déglutit.
La nuit l'avait frappé soudainement tandis qu'elle errait aux travers de marécages spongieux. Une escorte de moustiques aussi gros que le poing l'avait pris pour cible et la Lame avait tranché, démembrant, étêtant, exterminant. Exténuant.
Belakassiah avait fondu au travers d'une plaine gavée de rats énormes; leurs yeux globuleux, pleins de fureur, l'avaient forcé à fuir, à longer cette rive malodorante, mise à mal, prise entre deux rives. La nuit l'avait frappé.
Belakassiah esquissa un rictus tandis qu'une paupière se soulevait pleine de sommeil et d'une texture filandreuse. Un parfum fruité de Kiwi.
Des bribes de sons parvinrent à ses oreilles ; des mouvements furtifs autour d'elle.
Où était-elle?
Des images. Confuses.
Cet échassier. Ces loups immenses. Ces choses grouillantes autour et en elle.
Quelque chose lacérait sa peau. Quelque chose la tirait, la griffait, l'extirpait.
Dans quel guêpier s'était-elle fourrée là?
Réveil. Goût amer. Bandages. Métal.
Du sang dégoulinait sur le drap jauni; Belakassiah sortait d'un bien mauvais rêve.
Ses narines humaient encore l'odeur de cet étrange fruit; ses muqueuses se souvenaient de chaque bouchée avant que...
... horreur. Griffures, pus, poches d'eau sous cutanés, cliquetis, effroi, vision de cauchemar: Otto.
Belakassiah eut la surprise de voir à son chevet son bel amant, celui dont elle avait tenté d'ôter la vie par le passé. Une année déjà depuis ce duel fraternel avec lui, l'autre de renommée.
Otto était là tout proche, ronflant à ses côtés ; Belakassiah esquissa un geste vers son... ???
Un collier d'acier froid, des bracelets, carcans épais entravant pieds, poings, l'empêchait de saisir la Lame du Talion.
Otto sourit sans même ouvrir un oeil ; Belakassiah était lié à lui, l'autre, celui qu'elle vomissait de toute son âme.
Resterait-elle ainsi entravée répondant au moindre caprice de ce bourreau?
Pas de répit. Pas le temps de souffler.
Déjà, le tortionnaire l'entraînait au dehors de la chambre, dévalant les escaliers, agrippant sa tignasse rousse à pleine main.
Belakassiah grimaça; la lumière du soleil lui brûlait à présent la rétine. De surcroît, avec tout ça, elle s'était cassé un ongle.
Otto l'entraîna aux portes du hameau et sans mot dire, il la laissa là, défaite, suintante et faible.
Belakassiah s'écroula, fatiguée, les yeux ployant sous le poids de chaudes larmes.
Cette saison maudite restait la pire de toutes...
Et la nuit enveloppa à nouveau la guerrière enrubannée de bandelettes crasseuses.
"Rien ne serait plus jamais comme avant. Oeil pour oeil... L'Autre ssssssssaurait bien arranger cela.
Sssss Sssss Sssss Ssssss..."
Dernière modification par Belakassiah (14-10-2010 18:49:11)
Hors ligne
Cette saison maudite touchait bientôt à sa fin et Otto trainait toujours sa Gardienne au bout d'une chaîne... Cela faisait plusieurs jours que le Silence l'avait envahie, succédant à des semaines de jurons incessants visant à le blesser au plus profond de son être, ce qui réussissait plutôt bien. Mais le Silence était encore pire. Plus que jamais, Otto renforçait sa vigilance, attentif au moindre sursaut de la Bête qui dormait en elle. Depuis combien de temps n'avait-il pas dormi ?
Il n'avait finalement su que lui dire, alors il était resté muet face à ses cruelles insultes. Il s'était contenté de l'emmener avec Lui, de la trainer derrière lui pour être exact, espérant trouver une solution sur la route. Mais quelle solution ? Quelle route ? Il ne savait même pas où il l'emmenait. Une chose était sûre, elle ne le quitterait plus. Ce massif n'était pas encore répertorié dans les archives de l'Hippogriffe, mais il avait déjà entendu le vieil Aristote évoquer la Grande Chaîne du Fléau. Par contre il n'avait pas parlé de ce Volcan qu'ils étaient en train de gravir...
Était-ce là le Centre du Monde ? L'origine de toute chose, qui jaillissait de ces trous brûlants qui perçaient la croute cendreuse ? Les vapeurs lui montaient à la tête. Trop chaud. Il chancela. Est-ce la que tout se terminerait, finalement ? Trouveraient-ils une issue dans ce Cratère ? Ses genoux le trahirent et il tomba face contre terre. Qu'elle était chaude et rassurante à cet endroit ! Otto se surprit à fermer les yeux pour mieux l'apprécier, et les Limbes du Sommeil ne demandèrent pas mieux pour envelopper sa carcasse surmenée...
Hors ligne
Otto s'était endormi après plusieurs semaines de veille ; l'homme fatigué n'avait pas fait poids face aux prémisses du sommeil.
La chaleur de cendres fumantes avait régénéré la Belle et à présent, en elle, s'éveillait la Bête: Belakassiah avait attendu le moment propice et en cet instant, alors qu'elle tenait la Lame entre ses mains frêles, une chose improbable se produisit. Otto était las, étendu sur l'herbe roussie tandis que la jeune Renégate s'apprêtait à le frapper une nouvelle fois, à l'expédier aux confins savoureux et fertiles du Dernier Cercle, celui des Limbes et des profondeurs abyssales du Cauchemar. Elle le savait que par trop, pour y avoir goûté, y être allée, en être revenue, hébétée, nourrie. Otto allait donc en cet instant connaître les joies d'un nouveau coma mais...
... la toile se mit à blanchir soudainement. Des frémissements imperceptibles s'échappèrent du plafond chargé de fumées, des étirements timides s'accompagnèrent d'une lumière diffuse: le ciel s'ouvrit et c'est alors que Belakassiah comprit. La lune avait changée de teinte ; la Saison Maudite venait de prendre fin et avec Elle, les espoirs déchus d'abattre la Lame.
Belakassiah s'éveilla et réalisa ce qu'elle faisait. La Stellesi lâcha la Lame et s'enfuit au travers de la forêt, bien moins sombre que celle de Brèche, bien moins glauque que celle où elle avait mis bas.
Déjà des araignées étranges s'agglutinaient autour de Belakassiah. Sentiment étrange de déjà vu. Belakassiah s'enfuit déchirant l'hymen de toiles disparates et collantes, refuge ou garde manger de nombreuses Recluses.
Le jour se levait. Une nouvelle année venait de poindre. Belakassiah avait failli dans sa tâche. Son Démon, pour l'heure muet, ne tolèrerai pas ce genre de défaillance. Elle en était certaine et le moment de sa chute à elle serait terrible à n'en pas douter.
Au loin, elle entendait Otto crier. Il l'appelait, lui sommant de revenir. Il fallait que tout ceci prenne fin ; Belakassiah s'enfonça dans la pénombre de la forêt gageant vain espoir qu'un animal ou deux viendrait goûter sa chair, la faire disparaître.
Les sons s'amenuisèrent, la lumière s'atténua et Belakassiah disparut...
Dernière modification par Belakassiah (28-10-2010 07:43:52)
Hors ligne
Depuis plusieurs jours, des rumeurs viennent alimenter les campagnes autour de Stella : certains s'accordent pour dire que la Mort rôde, blême et qu'Elle aurait traits de Belakassiah, la Stellesi de renom. On ne sait comment ni pourquoi, mais le recoupement de différents témoignages tendent à penser que l'esprit de la jeune femme n'ait été rongé de remords et que par dépit elle aurait péri ; son corps à ce jour n'ayant pu être retrouvé.
On rapporte aussi qu'une jeune femme, défaite, défigurée, aurait été aperçue dans diverses auberges, lieux dont chacun s'accordera qu'on y boit plus que de raison. Aussi, il apparaît difficile d'y apporter crédit : sur Rougeplaine, par exemple, on prétend que la belle sauvageonne aurait déguerpie rien qu'à l'évocation du nom de son éphèbe Otto. Sur Occine, une journée plus tard, il semblerait que la guerrière n'aurait pas payé le prix d'une chambre alors qu'elle était fragilisé après qu'un paysan ait trouvé son corps inanimé. Sur Granversan, on affirme que Belakassiah aurait subi d'horribles mutations physiques et que des tentacules auraient pris place de ses bras. Enfin, près de Hagaux, sur les rives de l'étang de Gil, quelques aventuriers confirment tous y avoir vu la Belle jeter son Epée et s'enfoncer dans les eaux brumeuses tandis que des nuées de stymphaliens se lançaient sur elle en criant. On prétend même que l'arme du Talion aurait pu être sauvée des marécages, ramassée par des mains sûres et surdimensionnées... et c'est là bien les dernières rumeurs circulant sur le compte de Belakassiah.
Dernière modification par Belakassiah (02-11-2010 08:05:24)
Hors ligne
Rage. La paisible bourgade de Mersuys ne l'était plus depuis quelques jours. Le démon hurlait sa rage, sa rage de l'avoir encore perdue, sa détresse face à la faiblesse de son hôte, sa frustration de ne pas avoir su la retenir. A chaque cri, une blessure se rouvrait, malgré les solides attaches qui le maintenaient au lit.
Rage. Bientôt il en aurait assez pour rompre ces liens et repartir à sa recherche. Et s'il ne savait toujours quoi lui dire, il laisserait le démon s'exprimer. Il fallait un fin, les Astres ne le concevaient pas autrement. La plaisanterie n'avait qu'assez duré. Il était incapable de la dresser par le verbe, alors il lui faudrait la guider par la sang...
Hors ligne
Coup. Belakassiah avait failli dans sa tâche ; L'Autre l'avait poussé à occire le premier quidam. Et le corps meurtri, fourbu, la jeune guerrière s'était vue affligée une sentence similaire dans la journée qui avait suivi.
Coup. Belakassiah n'avait pas su garder l'artefact ; la Main l'avait jeté dans les marais espérant alors qu'un nouveau porteur saurait la gérer de meilleure façon. La Stellesi avait erré la mine défaite à travers des montagnes sans fin et des blessures tenaces ancrées au plus profond de son coeur l'avaient amené à reconsidérer sa fonction première, celle de guerrière intrépide et carnassière. Otto avait été un bon compagnon, certes. Il fallait que cet amour impossible ne vienne plus péricliter sa perception et son art martial.
Oeil. Bela dirigeait ses pas, ou bien était-ce le contraire, vers une cité sans âge au bord d'un fleuve.
Dent. là serait l'assaut ultime ; c'est ce que pressentait l'Autre, celui qu'elle ne pouvait nommé, à l'intérieur de sa tête, de ce corps suintant et vieilli. Il fallait faire peau neuve, cesser de ramper, de ronger amertume et regrets, devenir chrysalide, s'éveiller à la brise printanière et s'envoler vers d'autres cieux.
Feu. Il consumait son âme. Cela devenait intolérable et inhumain. Etait-elle encore humaine ou bien seulement cette ombre d'elle-même qui n'avait par le passé pas su rester l'ombre d'Otto?
Le sable s'était écoulé par trop de grains ; le temps imparti était révolu.
Les pas de Belakassiah l'érigèrent vers la Porte, celle menant vers un repos éternel, celui du guerrier.
Et le vent balaya quelques mèches et une musique céleste emplit l'Endroit...
Dernière modification par Belakassiah (07-11-2010 12:27:54)
Hors ligne
Otto se présenta aux portes de la cité. Il surprit un regard entendu entre les miliciens en poste, mais n'y prêta pas attention sur le moment. Par contre, il sentit un frisson lui parcourir l'échine quand ils affirmèrent avoir vu une femme correspondant à son signalement se diriger vers le centre-ville. Elle était là...
…et elle n'était pas passée pas inaperçue. La plupart des locaux répondaient positivement à ses questions, et il fut rapidement aiguillé vers le chapiteau. Certains allaient même jusqu'à le suivre de loin, si ben qu'un attroupement de badauds excités l'accompagnait lorsqu'il arriva au niveau du gigantesque chapiteau. Il n'en avait jamais vu de si grand. D'autres badauds faisaient la queue à l'entrée. Qu'est-ce que manigançait cette Traitresse ? Pourquoi avait-elle l'air connue comme les Astres par les habitants de cette ville ?
Il fut accueillit comme s'il était attendu par les gardes du lieu, puis conduit à l'écart de la foule qui s'était massée à l'entrée. Cette vipère de Huit-Queues étendait son influence. Neuf-Queues, à l'affut, attendait de tomber dans un traquenard d'un moment à l'autre, pour déverser sa Colère. Cinq-Queues s'était vidée de son énergie en accouchant de l'hôte du Serpent, et ce dernier avait profité de la faiblesse de sa génitrice pour la contrôler. C'était le seul cheminement envisageable pour Otto.
On le mena dans le labyrinthe de toiles jusqu'à une salle pentue bardée de bois et percée d'une solide porte. Là attendait un puissant rôdeur qui se présenta sous le nom de Sojiro, et se prétendit qualifié de témoin par la Gardienne. Aucune obligation ou menace dans le ton, l'homme semblait sûr de lui. Otto lui confia sans rechigner son sac à dos, sa gibecière et sa bourse. Il n'en avait de toutes façons pas besoin pour ce qu'il avait à faire. Ainsi allégé, on le fit attendre là un bon moment, puis on ouvrit la porte, et Otto, le coeur battant à tout rompre, s'y engouffra.
Ses pieds foulèrent une épaisse couche de sable. Un puissant éclairage artificiel donnait à ce vaste hall une ambiance de spectacle, de ceux emplis d'ombres inquiétantes, de pleurs et de rires. Une Arène ! Avançant dans un brouhaha oppressant, il finit par atteindre une dalle en terre-cuite, sur laquelle il s'arrêta brusquement. De là, il l'aperçu, droite et fière comme un i, à l'opposé de l'arène. Il ne pouvait discerner les traits de son visage, mais il la connaissait trop bien pour deviner l'air de défi qui transpirait de tout son être... C'est donc ainsi que ça se terminait. Cela lui convenait. Il avait toujours aimé son style et son inspiration.
Otto prit une longue inspiration et poussa un hurlement à défriser un cabre d'or. Le brouhaha des gradins s'interrompit brusquement, et une tension palpable s'installa sur les lieux du drame. Voilà, comme ça, c'était parfait...
Hors ligne
L'Endroit s'était rempli en très peu de temps ; une tension presque palpable laissait augurer un combat digne des plus grands, un duel d'anthologie. La foule, divisée, scandait déjà le nom des Champions tandis que l'Elu franchissait la porte de son tombeau. La foulée légère et le buste en avant, le guerrier vieillissant semblait serein. Belakassiah sourit en le voyant marcher vers elle l'arme à la main. Il semblait que le Renommé veuille à nouveau mordre la poussière. Belakassiah dégaina sa Lame, celle avec laquelle elle avait déjà occis le Stellesi. Belakassiah le salua d'un signe de tête.
Une nuée de mouches tournoyaient autour de leurs têtes nues ; la lueur des flambeaux disséminés autour de l'Edifice les happaient une à une, folles qu'elles étaient, attirées par le sel puis par la chaleur. Belakassiah suait grosses gouttes. L'atmosphère s'était chargé de moiteur intrigante, celle de la peur ou bien de la certitude pour chacun des témoins de la scène que l'un et l'Autre se faisaient face ici pour la dernière fois.
Le hurlement de rage du duelliste fit taire l'assemblée, impatiente certes qu'elle était de voir couler le sang. Des étendards pourpres claquèrent comme un signal et Belakassiah bondit telle une Tigresse ; son coup porta ses fruits et une estafilade relativement profonde apparut sur la poitrine du Condamné. Sûre de sa victoire, la guerrière aux cheveux de sang recula et harangua la foule déchaînée. Un millier d'yeux étaient rivées sur elle à cet instant et les astres allaient décidés sans tarder de l'issue du combat.
Belakassiah prit soin de recoiffer une mèche rebelle et elle sentit à cet instant son Démon intérieur rugir de plaisir ; les arkhanas seraient bientôt siens. A n'en pas douter...
Un vent soudain balaya l'arène et quelques grains vinrent faire ciller la Sauvageonne.
Qui sème le vent récolte la tempête !, pensa t-elle alors tandis que l'Autre écarquillait les yeux, béat devant l'art martial parfait de celle qui fut sienne par le passé. Mais le divorce était depuis longtemps prononcé... et rien ne lui ferait plus plaisir que de devenir ici veuve et bourreau.
Hors ligne
Otto encaissa le mauvais coup de la Lame en grinçant des dents. Le temps qu'il se ressaisisse, elle s'était éloignée, le narguant en prenant la foule à témoin. Calmement, comme un Gardien du Talion exécute la sentence du Conseil, l'Elu de Neuf Queues s'avança vers la Traitresse en entonnant un chant de guerre inspiré du poème qu'il avait jadis trouvé aux portes d'un bled paumé, et dont l'auteur, le respectable Ronce, l'avait particulièrement touché de ces mots :
Leurs étoiles s'étiolent et tous se détournent.
Le retour de l'Astre Noir les compromet.
Bientôt viendront les mercenaires et d'autres règneront.
Se dispersant au gré du vent,
Ils errent de partout à nul part.
Nul ne sait pourquoi ils sont et leur jour ne viendra pas.
De guerre et de fureur sont les soldats d'os.
Le fracas des armes se veut leur légitimité et leur honneur
Et tous se défient.
Ivres de violence et de sang, sans dieux ni maîtres
Ils font de la mort leur compagne
parfois avec passion, toujours sans explication.
Alors qu'il enfonçait son khukuri dans le ventre de sa Belle, il lui chuchota la dernière strophe :
Voici ceux qui comptent.
Et ils ne sont rien.
Il se retira doucement. Elle était toujours debout. Malheur ou bonheur ? Il ne savait plus... Le prochain coup sonnerait le glas. Mais qui le porterait ?
Hors ligne
Une chose impensable se produisit soudain.
Alors que le vent portait aux oreilles de Belakassiah les strophes méprisables et assassines, alors que l’Elu marchait vers elle détestable et se délectant, porté par la foule et par son inconscience, alors que pointait déjà l’acier mesquin d’un khukuri au travers de son cuir déchiré, une ombre surgit derrière eux, les surprenant tous deux.
Une épée tirée du fourreau vint mettre à terre Otto ; le milicien fanatique venait de s’en prendre à Otto alors que le duel s’annonçait sanglant. L’homme barbu sourit niaisement et harangua à son tour la foule, démente. Le sang avait jailli d’une artère du guerrier stellesi et le sable but par gorgées le fluide carmin.
Belakassiah rugit de dépit. Elle se précipita sur le milicien et l’asséna de coups puissants qui ne le mirent pas au sol ; le guerrier vétéran était solide et se tournant vers elle il lui gratifia un regard halluciné, plein d’orgueil, de fureur, de plaisir. La foule semblait derrière lui. Son épée semblait avoir déjà bu le sang de nombreux en ce lieu. Le milicien au regard de jais fit craquer quelques vertèbres de son cou et s’élança sur elle, blanche colombe qui s’apprêtait l là à faire son dernier envol.
Le spectacle touchait à sa fin.
Belakassiah attendait la sentence de l’épée.
Pourvu qu’elle ne déroge pas à sa fonction.
Le vent fit tinter une dernière fois les osselets noués dans ses cheveux et…
Dernière modification par Belakassiah (15-11-2010 12:19:17)
Hors ligne
... la Lame frappa mettant à terre le malheureux, celui qui lui avait ôté Otto.
La foule était aux anges ; Belakassiah essuya sa Compagne et prit congé de ce public dément.
Le sable vola derrière ses pas déterminés et la belle guerrière franchit le seuil de la porte pour se fondre dans l'obscurité des couloirs et disparaître.
Elle erra quelque temps dans les rues de la cité à la recherche de quoi se sustenter.
On la vit à l'auberge voisine. On la croisa dans la rue menant vers la fontaine. On la défia du regard aux alentours du tanneur.
Belakassiah n'en avait cure. Ses soucis étaient tout autre ; son esprit s'était focalisé sur ce combat tronqué, ce duel où elle avait hurlé sa colère.
Le combat avait été rude et son estomac était en attente de quelques grammes de plus.
Les jours passèrent ; Belakassiah songeait encore à cet endroit formidable.
Il lui fallait remettre ça. Il lui fallait connaître encore et encore les affres de l'attente, les joies des premières gouttes versées, le dédain des adversaires puis leur incompréhension lorsque la Lame s'acharnait dans leurs entrailles répandues à même le sol.
Belakassiah se surprit à voir où ses pas la menèrent alors en ce jour.
La Stellesi ricana dévoilant des canines atrophiées, des dents taillées pour la chair.
Belakassiah entra dans la structure magnifique, trouvant aisément la porte. Etait-ce une porte, un seuil, un pas à franchir?
Belakassiah s'assura qu'elle fut seule et entra avec la détermination d'un nouvel exploit à accomplir.
Belakassiah se surprit à prier. Prier pour que les astres répondent en sa faveur. Prier pour n'avoir plus à connaître d'aussi noirs sentiments que ceux qu'elle avait éprouvés pour Otto.
Les heures passèrent. Et le sang coagulé avait été lessivé. Nul trace d'un récent combat.
Les heures passèrent.
Et les heures avaient passé lorsqu'une ombre franchit le seuil à son tour.
Il était là tout de bandes vêtues, affaibli mais contraint par le devoir d'accomplir ce qui devait l'être.
Ils se regardèrent une nouvelle fois.
Et les secondes semblaient des heures.
Belakassiah prise de crampes à la jambe décida de faire les premiers pas et de venir au devant de celui pour qui son coeur avait battu.
Otto, impassible, attendait une nouvelle sentence, à moins que cela ne fusse une ruse de sa part.
Belakassiah sentait des fourmis gagner ses membres et elle dut à nouveau se déplacer.
Otto était là à portée de tir. Il ne bougeait toujours pas, l'inconscient.
Belakassiah le salua. Otto ne répondit par aucune émotion, aucun geste, aucun cillement.
Cela frisait le ridicule ; aussi la Maudite s'élança à son encontre... et sa Lame trouva une première fois les côtes d'Otto.
Hors ligne
Et tout s'enchaîna alors ; les destins étaient liés là en ce lieu chargé de vie, seuls sur ce sable, les yeux dans l'autre.
Ce rêve était trop beau.
La Sauvageonne ricanait. Otto ne pourrait jamais dompter cette femme qui lui échappait. Il essaya bien de lui saisir la tignasse, de la ramener à lui d'un coup brusque. Belakassiah s'éclipsa sur la gauche d'un pas de danse dont elle avait secret.
L'Elu ne put qu'un instant cligner des yeux et le cri puissant qu'il cherchait à produire au milieu des acclamations des spectateurs restait perdu, empêtré dans la noirceur, la profondeur glaireuse d'une gorge asséchée. Frustration à l'évidence pour ce guerrier frustre et vieillissant.
Le sang de l'Elu perlait auréolant le sanctuaire.
- Olé, scanda une foule conquise, tandis qu'une nouvelle pirouette de la Maudite laissait le Stellesi frappé le vide.
Belakassiah saisit alors son épée bien haute et acheva l'oeuvre.
Otto gisait au sol, la mine défaite, le visage noirci, le souffle court.
Son corps vacilla et Belakassiah le salua. La blessure était importante mais l'homme saurait vite retrouver force à l'auberge pour venir poursuivre un deuxième duel.
Déjà Belakassiah avait disparu retournant dans l'ombre, lieu qu'elle affectionnait tant.
Hors ligne
Otto n'était plus qu'une ombre errante sans conscience propre. Qu'il en soit ainsi, le Démon se chargeait de lui montrer la seule voie possible.
Frustré, engoncé dans son hôte, Neuf Queues prit les rênes de ce corps inutile, et sortit de l'auberge. Cette fois, il n'attendrait pas la fin de la convalescence, au mépris des lois physiques et civiles. Il lui fallait un hôte plus adapté, celui-ci ne faisait que tourner en rond et l'amour qu'il portait à l'hôte de Cinq Queues l'empêchait de le contrôler à satiété.
Au détour d'une ruelle, il tomba nez à nez avec Cinq Queues. Elle transpirait la corruption. La mutation de Huit Queues avait avancé à grand pas, tout ça à cause de cet idiot d'hôte qui le nourrissait inlassablement en arkh...
...A la vue de sa Lame, Otto refit surface, écarta d'une inspiration l'emprise du Démon. Il rugit comme un damné, ne sachant plus faire grand chose d'autre ces derniers temps. Ce cri de rage termina d'épuiser ce qui lui restait de vitalité, et il s'effondra une nouvelle fois à genoux devant Elle, le souffle coupé, les yeux implorants...
Elle put malgré tout percevoir un murmure :
"Je n'en peux plus... Je n'y arrive plus..."
Hors ligne
Encore pleine de triomphe et des glaires noirâtres de son dernier combat, Belakassiah ressentait comme un vide.
Elle venait de terrasser Otto, celui qui fut sien. Malgré tout, les arkhanas ne firent pas l'effet escompté. Rien.
Aucune émotion, aucun regain de vigueur.
Son démon l'avait-il délaissée? Avait-elle commis faute?
Soudain, le sourire moqueur s'effaça de son joli minois. Belakassiah tituba prise de crampes.
Se pouvait-il qu'elle fusse encore pleine de cette vie?
Non. Bien au contraire...
Ses mèches rebelles s'agitèrent comme mues par un souffle. Quelque chose grandissait en elle. Une ombre.
Son Démon n'avait certes pas lésiné sur les moyens pour la transformer, la muter en cette chose improbable.
Elle errait ainsi depuis des lunes sous couvert de ce pseudonyme évocateur. La Scolopendre.
Les osselets se mirent à tinter annonçant l'imminence de la Chose.
La jeune guerrière quitta l'enclos et la fureur de cette place bondée de dégénérés scandant son nom.
Elle fit quelques pas s'appuyant sur le mur de pierres ; sa main venait de gonfler, doublant de volume.
Que...
Devant elle surgissait, défait, le piètre Otto. Elle pouvait lire sur son visage les rides du désarroi, de la résignation. Otto bavait et crachait.
A cet instant il ne valait pas mieux qu'elle assurément. Otto respirait la mort à plein nez.
Que leur arrivait-il... à tous deux?
Otto s'effondra sur les pavés humides.
Une brume venue de la rivière, jouxtant la ruelle, vint envelopper sa carcasse agonisante.
Belakassiah crut même voir à ce moment précis des mains courir le long de ce corps inerte le dépeçant, le violant.
Ses yeux se mirent à picoter. Une odeur de soufre parvenait à ses sens. Ignoble et puissante.
Belakassiah déglutit. De nouvelles crampes. INSUPPPORTABLES.
Les vêtements de Belakassiah se déchirèrent laissant poindre une épine dorsale démente. Une paire de griffes acérées s'extirpaient d'elle même et des filaments blanchâtres venaient comme une guirlande décorer le reste de lambeaux, chair et tissu ne faisant plus qu'un.
Un voile noir surgit devant ses yeux. Belakassiah s'effondra sur le corps d'Otto et sa vision dernière fut ce sourire sur les lèvres du bel amant.
"Jamais plus... nous ne ...ssssssserons de... nouveau ssssssépar..."
Dernière modification par Belakassiah (02-12-2010 17:43:36)
Hors ligne
Le jeune homme s'éveilla ruisselant de sueur et ses tempes rousses n'étaient alors rythmées que d'un seul tempo, celui des battements de son coeur rongé de colère. Sa vue était encore troublée de limbes ; son regard bleuté était encore tout ébloui d'une sorte de prisme irisé, rougeoyant, tournoyant, ondulations spasmodiques, feu follet amer et constant, omniprésent, jusqu'à l'écoeurement.
Ses oreilles bourdonnaient du son sinistre de milles flûtes et des bruits improbables sortaient à présent de sa gorge assaillie.
Etait-ce là le fruit d'une imagination fertile?
Le mauvais rêveur mit quelques minutes à établir de véritables connections entre cette réalité et cette... autre dimension, cet univers froid et obscur dans lequel il avait séjourné douze heures durant.
Il était temps de partir, de lever le camp, de foutre le camp.
Sing Sang Sung arracha ses draps gorgés d'eau et, au bord du lit ayant essuyé une énième nuit fait de tumultes, il hurla sa bile et son désarroi.
En ce 59ème jour de la saison Maudite, saison qu'il subissait année après année, il ne pouvait en être autrement.
Surtout après cette vision cauchemardesque dont il avait été acteur... cette forêt sinistre au coeur de nulle part, cette forêt macabre d'où il avait émergé.
Là-bas.
Hors ligne
Pour cette première fois, il lui avait fallu une mûre réflexion ; débourser d'une traite autant de deniers lui en coûtait bien plus que la valeur indiquée sur chacune des pièces de monnaie. Un denier est un denier et les dépenser avec parcimonie un art qu'il est bon de maîtriser. Dans son métier, et oui, c'est monnaie courante.
Le jour de la Foi. Pas de meilleur jour pour un départ qui suscite tant d'angoisses. Il se les rongeait presque jusqu'au sang, ses ongles manucurés, le matin encore parfaits. Il lui en coûtait vraiment plus, ce voyage, lui qui n'avait parcouru le monde qu'à pied.
L'aéronef chargea bon nombre de voyageurs. L'air était moite, chargé d'effluves variées, de parfums de femmes, d'odeurs salines, de relents charriés par des vents contraires. Sang crut que son petit déjeuner allait passer par dessus bord. Il plissa les yeux et eut un haut le coeur lorsque l'appareil décolla.
Sing Sang Sung reconnut parmi les passagers un visage familier.
Décidément cet homme était partout.
Occultant cette dernière vision, Sang s'échappa un instant, vagabondant parmi les matières ouatées que l'aéronef déchirait sans mal.
Le jeune marchand sourit face à ce sentiment total de liberté.
Il volait. Il volait vers la cité, cité dédiée aux astres et aux dieux.
Qu'importe son athéisme, Sang y avait à faire. Ses rêves l'y dirigeaient inéluctablement.
Il laissait derrière lui la cité d'Anton et une affaire en cours qu'il saurait bien vite honorer dès son retour.
Sang était homme de parole et la clientèle qu'il cherchait à satisfaire une clientèle de premier choix.
Ses oreilles bourdonnaient et Sang crut bon de bailler, chassant cette pression de ses tympans fragilisés. Sang s'endormit.
Il savait que quelqu'un veillait sur lui.
Hors ligne
Le jeune marchand déambulait paisiblement dans les rues de Stella à la recherche d'éventuelles clients. Il ne rencontrait hélas que des hommes et des femmes sans motivation, des citoyens murés dans un mutisme complet. Sang ne fit qu'un tour.
- De ses clients là je n'en sortirai nul denier!
Une fois la chose faite, à l'abri des regards, une ombre surgit sur lui. Ses joues s'enflammèrent et le doute l'envahit.
Ce faisant, Sing Sang Sung tâtonna machinalement sa bourse, habitude qu'il avait prise depuis que des voleurs circulaient librement dans la Cité des Etoiles.
Oui... c'est bien ce que je pensais... il me manque quelques pièces...
Allégé de quelques grammes, Sang scruta l'horizon et aperçut à deux pas de lui une jeune femme frêle, blonde, le sourire aux lèvres.
- Qui... Qui... qui êtes vous, satanée voleuse?
Sang s'apprêtait à répandre la vie de cette jeune imprudente sur les pavés de pierre de la Cité et, se reprenant - tout en constatant que l'adversaire était de taille à résister aux assauts de son épée de bois- Sang se mit à crier:
- Au voleur, au voleur! C'est elle ! Une récompense de 50 arkhanas à qui saura occire cette vile personne...
Déjà non loin se tenait des badauds investis d'une curiosité naturelle.
Sang répéta l'offre:
- 50 arkhanas de récompense... sur cette femme blonde au corbeau noir perché sur son poignet...
Dernière modification par Sing Sang Sung (13-02-2011 09:23:50)
Hors ligne
Sing Sang Sung divaguait au milieu de la rue ; il faut dire que les derniers jours avaient été rudes et les actions entreprises pas toujours très honnêtes. Il lui fallait respirer le grand air et poursuivre ses pérégrinations à l'extérieur. Pourvu qu'on le laisse sortir...
Reprenant ses esprits, le jeune marchand formula une sorte d'excuse aux badauds qui s'étaient agglutinés :
-Non, non... ce n'est rien. je me trompe. Mes deniers son bien là, j'ai dû rêver...
Il regardait à présent la jeune femme repartir. Il sourit en pensant à cette rencontre peu commune. Il soupesa sa bourse et constata que celle-ci était désormais plus conséquente qu'au petit matin. Il avait le sens des affaires, à n'en pas douter...
Le corbeau tourna la tête à son attention. Sang crut même le voir cligner d'un oeil.
Hors ligne
Le jeune marchand venait de mettre la touche finale à son projet de longue date espéré, de tout coeur convoité. Les étals de son nouveau bazar étaient en place ; ils restaient encore à constituer son stock et à étudier le flot de visiteurs... d'ailleurs, ils étaient nombreux déjà à venir jeter un oeil sur le beau "Sanguin, Sanguine" flambant neuf. Quelques jeunes passaient à plusieurs reprises, tout sourires. Sang avait déjà remarqué ces intrépides et son oeil avisé pouvait déjà cerner chez l'un ou chez l'autre un talent naissant, une âme artistique. Son choix se fit sur un jeune vagabond, un curieux personnage dont le visage semblait familier ; Sang lui proposa de l'aider à créer et à développer son art. Le jeune homme semblait se débrouiller et ses lavis étaient prometteurs. Sang acheta une douzaine de toiles et les lui offrit.
Tandis qu'il déposait les toiles vierges à ses pieds, un individu, assez bourru, entra dans le bazar et s'empara d'une toile innocente, s'enfuyant sans mot dire.
Mais le marchand avait déjà entendu parler de ce vagabond, de ce rôdeur empestant la bière.
- En voilà des manières, l'ami ! Sachez que cette toile est celle d'un autre et que si vous regrettez ce geste involontaire, je puis vous laisser volontiers la nuit pour y réfléchir. Passer ce délai je ne réponds pas des conséquences de votre audace.
Déjà le jeune marchand criait dans la rue son mécontentement et désignait du doigt l'homme barbu qui s'éloignait.
- J'offre une récompense à qui me ramènera ce vil personnage qui ne mérite nullement son rang de renommé. Cet homme est venu faire du désordre dans Stella ; j'ose croire qu'il agit seul et que les mercenaires dont il semble être le leader ne s'abaissent pas à ce genre de mesquinerie.
Sang reporta son attention sur cet élève prodigue, cet amoureux de la peinture.
En y pensant bien, Sing Sang Sung connaissait le nom de ce voleur de toile : il avait participé à ce concours de peinture sans nulle récompense d'ailleurs. Sang n'avait pas du tout aimé son oeuvre insipide, fade, sans saveur ; l'oeuvre d'un amateur de pacotille, d'un moins que rien.
- Quand on naît petit , on le reste... mais ce rat ne perd rien pour attendre. Le son de ma flûte bientôt l'entraînera dans sa chute... Cours, cours, petit rongeur à la coiffe de castor. Tes heures te sont comptées...
Dernière modification par Sing Sang Sung (22-02-2011 20:17:58)
Hors ligne
Le rôdeur entendit les remarques du petit marchand mais avait d'autres chats à fouetter : il n'allait pas s'arrêter pour donner un objet trouvé à tout ce qui en réclamerait la paternité ! Bien élevé, il envoya tout de même un holoring poli aux bouillant trublion afin de lui en faire remarque :
Holoring a écrit:
Apprenez monsieur, que cette toile avait été déposée sur le bord de la rue, à la vue et au su de tous et qu'elle n'est nullement marquée de votre sceau ni de votre estampille. Si vous avez une plainte à déposer, faites-le donc devant les autorités compétentes au lieu de tenter de nuire à ma réputation : je ne crains ni votre verbe pusillanime, ni la Justice que je sais être pour moi. Apprenez, monsieur, que tout bien ne se conserve que par de la soi et qu'à force de ne pas y prêter attention, c'est bien plus qu'une toile que vous pourriez égarer !
Je ne vous salue pas, monsieur : quand on est éduqué, on se présente avant tout et l'on expose son grief entre gentilshommes et non pas en jetant l'opprobre sur d'honnêtes citoyens !
Erkenbrand, rôdeur et capitaine mercenaire...
Ce fait, le rôdeur se remit en quête du voleur de la relique de la Cocatrice, toujours disparue...
Hors ligne
Sang ne fit qu'un tour en voyant réapparaître le malotru, Erkenbrand, celui-là même qui, s'étant introduit dans son Bazar, avait subtilisé la toile que l'honnête marchand antonien tendait à maître Dimitri.
-Au voleur, au voleur, c'est lui le grand hirsute au chandail vert, c'est lui le capitaine de la Garde Franche. Attrapez-le !
Son holoring avait vibré ; Sang avait écouté les propos hautains de l'homme dit de haute renommée. En voyant sa dégaine au coin de la rue, Sang n'aurait jamais pu l'imaginer employé des mots de plus de deux syllabes.
Sang alla à l'encontre du rôdeur en le traitant toujours de voleur et le montrant du doigt.
Il avait prier en ce jour au temple de l'Unisus espérant qu'un signe, qu'un trait, foudroie le mercenaire sur le champ.
- Un trublion... Qu'est-il donc lui fagoté de la sorte pour se permettre de juger un jeune marchand?
Sang avançait toujours vers Erkenbrand le sourire au coin des lèvres :
- J'offre 1 000 deniers à celui qui mettre genou à terre à ce vaurien itinérant, cet adepte de la marche et de la rapine. Son grade lui permet-il de commettre des méfaits en plein jour sans que cela ne soit réprimandé? Que fait donc la milice lorsque un citoyen d'Anton décide d'établir son commerce dans la cité des astres? Les Elus permettront-ils que cela perdure? Les vols semblent légion en ces temps noirs et il est grand temps que Stella songe à lessiver ses rues des immondices qui y rampent. La pestule n'a pas place en ces murs ; elle ne peut subsister et se répandre ainsi.
C'était déjà la deuxième fois en Stella qu'il croisait la route d'un membre de la Garde Franche ; la première rencontre s'était soldée par une entente cordiale et un projet d'avenir certain. seulement avec ce nouvel incident, Sang pensa qu'il serait bien inspirer d'établir au plus vite une liste rouge des clients à rejeter à vue de son commerce naissant.
Sang s'approcha encore...
Hors ligne
Le rôdeur était en train de fouine dans une ruelle voisine du temple quand il entendit la voie du Marchand déblatérer des propos insensé.
Et qui êtes-vous donc messire, pour vous targuer de faire la loi à Stella ? Croyez-vous que vos deniers vous permettent d'attaquer ou, pire ! d'inciter au désordre et à l'injustice ? Non messire ! Ce n'est pas votre or qui fait la loi, pas en ces lieux en tout cas ! Allez donc le dépensez en juges et en gens de cour mais de grâce, cessez donc de m'importuner : j'ai affaires à régler plus importantes pour la cité de Stella que vos pleurnicheries odieuses et médisantes !
Hors ligne
Sang sourit.
Ce rôdeur, il se ferait une joie de le traîner dans la boue, fange d'où sa mère avait dû lui permettre de pousser premier cri.
Sang dégaina son épée de bois et s'approcha du rôdeur.
Le rôdeur s'éloignait bien vite ; Sang le vit disparaître au loin.
Sa lame était-elle si terrible que cela, ce morceau de bois rafistolé avec une bandelette jaunie ?
Dernière modification par Sing Sang Sung (23-02-2011 21:52:29)
Hors ligne