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Caché derrière un buisson, Kain épiait l'animal. Son cuir noir et épais luisait au soleil, son odeur puissante montait dans l'air du matin.
Le guerrier devinait près de lui ses deux compagnons, mais uniquement parce qu'il savait qu'ils étaient là. Leur plan était bien monté, il le fallait, car aujourd'hui ils avaient décidé de s'en prendre à un taureau! Grand comme la plus grosse statue de Stella, agile comme son meilleur danseur, fort comme... un taureau quoi, la bête n'était pas du menu fretin.
Sur son signal ils se mirent en mouvement. Zébu se mit devant le taureau, et fit ce qui ressemblait étrangement à un pas de danse de taverne, pour essayer de le distraire. Malheureusement l'animal n'avait aucun humour et lui mit un coup de corne, qui manqua de l'envoyer directement dans le coma. Mais il était suffisamment distrait. Vif comme un serpent Kain bondit de son fourré, expédia trois coups en direction de ses côtes, dont deux touchèrent leur cible, dans deux giclées de sang. Bela, sentant son tour arrivé, en deux taillades finit l'énorme bête.
Les trois chasseurs se regardèrent, et la fierté rayonnait sur leurs visages. Ils venaient d'abattre une créature bien plus forte qu'eux, et arkhanas et viande de taureau se répandaient sur le sol pour célébrer leur victoire. Bela déboucha trois bières, et les leur tendit, ils les avaient bien mérité.
C'est alors qu'un cri à glacer le sang retentit à l'horizon. Une chose, comme une boule orange et hurlante, sortie de nulle part, se jeta au milieu d'eux. En un instant et deux coups de crocs, un pour chaque, elle envoya Zébu et Bela dans les limbes du sommeil de ceux dont l'énergie vitale est épuisée. Kain resta figé, ne comprenant pas ce qui venait de se passer. 'Non, ce n'est pas possible, nous sommes victorieux, on a gagné', pensait son esprit engourdi.
Devant lui, un tigre, gigantesque, la gueule barbouillée de sang, posait les pattes sur la carcasses du taureau. Attirée par l'odeur de la mort, elle était venue départager tout le monde, et rappeler aux humains, au moment même de leur euphorie, qu'Arkhan n'était pas toujours une terre aimante pour ses enfants.
Kain regarda la bête, et lut comme de l'amusement dans ses babines retroussées, son regard jaune qui ne cillait pas. Et pour la première fois il ressentit la peur. Le guerrier, qui avait affronté sans broncher chien et chevaux sauvages, serpents et araignées, commença à reculer, sous l'oeil narquois du tigre. Et à sa peur se mêlait une rage effrayante.
"Je te verrai morte, abominable créature!" hurla-t-il " Je ne connaitrai pas le repos tant que ton coeur battra encore!"
Il s'éloigna vers le lointain sans que le tigre, suprême insulte, ne consente même à le suivre. Il était décidé. Cela prendrait un, cinq, ou dix ans, mais il retrouverait l'animal. Il n'avait pas la force de châtier ses crimes aujourd'hui, mais il allait collecter arkhanas et relicartes, acheter les plus puissantes armes et armures, et un jour il laverait cet affront, même si il devait engager tous les rodeurs et archers de Stella pour le traquer. C'était trop horrible, trop absurde, pour qu'il puisse jamais oublier.
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Cette nuit Kain se réveilla à nouveau en sursaut, bien avant le lever du soleil. Un cauchemard. Toujours le même cauchemard.
Quasiment chaque nuit maintenant, il voyait en rêve l'oeil jaune et implacable qui le fixait. Comme la lune dans le ciel le guerrier ne pouvait se cacher de lui, il le suivait partout où il allait. La bête lui promettait qu'elle viendrait finir le travail commencé dans la chair de ses compagnons.
Plein de fureur et de sommeil en retard, Kain se rendit un matin chez le forgeron. Il voulait une nouvelle épée.
"Et quel genre d'épée?" demanda le brave homme, étonné d'avoir trouvé un client attendant devant sa boutique dès l'ouverture.
"Une pour tuer un tigre."
Sans se permettre de commentaires, ayant sûrement compris que le guerrier n'était pas d'humeur, le marchand rentra dans l'arrriére-boutique. Il ressortit cinq minutes plus tard avec un lourd paquet dans les bras. A moitié cachée dans les replis du tissu une épée étrange, lourde et courbe, brillait de l'éclat du métal tout neuf.
Quand il lui annonça le prix, le guerrier grommela un peu.
"Vu le coût, vous me rendrez bien un petit service." annonca-t-il l'air sombre, en ouvrant sa bourse.
Il passa chercher l'arme le lendemain. Et on pouvait voir, gravée dans l'épaisse lame de métal, l'image stylisée d'un tigre bondissant battant dans son dos.
Dernière modification par Kain (18-10-2009 21:02:42)
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Kain n'avait pas la tête à la chasse. Trop de mauvaises nuits, trop de fatigue, trop de tout. Pourtant ce n'était pas le moment de jouer les inconscients, puisqu'ils étaient revenus chasser le taureau et que c'était loin d'être aussi facile que d'écraser des serpents sous ses bottes. Mais Kain n'avait plus vraiment le coeur à rien.
Il fut tiré de ses rêveries par un murmure de son compagnon, le vaillant, voir téméraire, Zébu Rayé, qui faisait souvent mentir son paisible nom par son comportement.
"Psss, hé, psss" sifflait-il.
"Quoi?" dit Kain, qui avait quand même compris que c'était le moment de baisser la voix.
"On met les bouts discrètement, tigre à 1 heure. Derrière le talus."
Tigre? Et en effet, une ombre orangée était visible à travers les branches, se reposant à l'abris du soleil après quelque affreux crime assurément. Kain sentit son sang se réveiller pour la première fois depuis longtemps.
"Tigre, putain de tigre." marmonna-t-il entre ses dents.
"Ben quoi, on s'en va?" demanda Zébu, qui le tirait par la manche, sans voir le trouble dans lequel l'animal avait jeté son compagnon.
"Non, on s'en va pas. Marre. Marre de fuir, marre de rêver, marre de ces yeux jaunes à la ***."
Zébu vit avec horreur son ami se relever de toute sa stature, qui était loin d'être discrète. Et son horreur alla en augmentant, lorsqu'il se mit à courir comme un dératé vers la talus, dégageant de son dos son énorme lame.
Le tigre se reposait lui d'un repas de taureau mal digéré. C'était un bon coin pour les roupillons, des années qu'il venait là, jamais un problème. Et soudain, surgissant des fourrés, un grand bipède lui bondit dessus avec un cri sauvage. Les coins à roupillon, c'est plus ce que c'était.
Hurlant de toutes ses forces, Kain abattit sa lame sur la bête. Malgré un bond dont l'agilité était toute féline, l'épée s'enfonça entre deux côtes, arrachant un miaulement de terreur et de douleur au tigre.
"Meurs, meurs, meurs." sussurait Kain entre ses dents, sans s'en rendre compte.
Il leva son épée et l'abattit à nouveau, puis encore une fois. Il allait recommencer, quand il sentit une main se poser sur son épaule.
"Euh, ouais, non mais là je crois qu'il est crevé." fit la voix de Zébu, emerveillé ou effrayé, c'était dur à dire.
En effet, à leur pieds, il ne restait plus qu'un tas orange et inerte. Kain redressa la tête et hurla sa victoire jusqu'aux cieux. Puis, quand l'euphorie fut redescendue, il prit son couteau de chasse pour dépecer les carcasses, et arracha une dent à sa victime.
"Attend moi, Yeux Jaunes, je suis assez fort maintenant, je viens pour toi." souffla-t-il, extatique.
Et il mit la dent dans sa poche, la première d'un grand collier qu'il arborerait pour affronter son ennemi. On verrait qui avait peur de qui. Puis il envoya un holoring au temple. C'était presque de l'abus de pouvoir, mais il ne s'en souciait pas, il avait une annonce urgente à faire, et c'était le moyen le plus rapide.
Pour la première fois depuis longtemps, Kain allait bien dormir ce soir.
Le lendemain, les serviteurs de Cerbère passèrent sur toutes les placettes de village, dans toutes les tavernes, pour faire la proclamation que voici:
"Le guerrier Kain, gardien du temple de Cerbère, recherche le tigre, dont la description est la suivante:
Long de dix pieds, orange rayé de noir, l'oeil doré, les dents de 2 pouces et demi au bas mot, et portant derrière l'oreille l'inscription divine 18903.
Tout renseignement conduisant à sa mort se verra récompensé d'une bourse de 150 deniers sonnants et trébuchants."
Dernière modification par Kain (12-12-2009 13:10:08)
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La chasse avançait de façon satisfaisante, et les taureaux étaient convertis en steaks saignants avec autant de facilité que si il s'était agi de paisibles vaches paissant au pré et non de monstres sauvages remplis de force et de fureur. Les tigres, tous tombés par surprise, ne faisaient pas non plus long feu et trois canines blanches pendaient à présent du lacet de cuir qui ornait le large coup de Kain. Dans l'ensemble le guerrier était ravi.
Au crépuscule du 3eme jour les deux compagnons furent en vue d'un ensemble de cahutes branlantes qu'on aurait pu à la limite appeler village. Aucune route n'y menait, et il n'avait même pas de nom dans les archives de Stella, pour autant que Kain le sache. Ils frappèrent prudemment à la lourde porte en chêne cerclée de fer, qui fermait la haute enceinte protégeant le hameau des attaques des bêtes féroces qui rodaient alentour.
"Qui va là?" demanda la voix enrouée d'un homme qui se garda bien de passer la tête par dessus les remparts, ou même d'ouvrir l'oeilleton de la porte.
"Kain, Gardien du Cerbère, qui requiert l'hospitalité pour lui et sa suite." répliqua le guerrier d'une voix forte.
Cette fois l'oeilleton fut tiré et un regard bleu et inquisiteur se promena sur les deux amis qui, après quelques jours de chasse sans avoir croisé ni baignoire ni rivière, ne devaient pas avoir bonne allure, sales et hirsutes qu'ils étaient. D'un autre côté deux c'était bien peu pour envahir un village, et on se décida finalement à leur ouvrir.
En plus du portier, ils furent accueillis à l'intérieur par un vieillard se présentant comme le chef du hameau, qui leur proposa son toit pour la nuit. Passant entre des maisons d'aspect assez misérable, d'où les observaient des villageois curieux, ils gagnèrent celle à peine plus glorieuse du chef. Pendant le dîner, modeste, le vieil homme leur dit qu'ils ne recevaient presque jamais de visiteurs, étant isolés en une région des plus dangereuse, vivant difficilement des cultures à l'intérieur des murs.
"Justement." commença Kain, "j'avais des questions sur la faune qui traîne autour de chez vous. Sur les tigres surtout."
"Les tigres?" s'étonna l'homme. "Tout ce qu'il y a à savoir, c'est qu'il faut pas s'en approcher. A moins", reprit-il avec une lueur étrange dans l'oeil, " que vous soyez intéressé par de la poudre de pénis de tigre? J'en ai un peu de côté, récupérée sur ceux qui sont morts de vieillesse. Mais je vous préviens, il faudrait me la payer cher pour me persuader de m'en séparer."
"Euh, oui mais non, en fait."
Kain avait entendu parlé des soi-disant propriétés aphrodisiaques des parties intimes du fauve, mais n'était pas franchement prêt à essayer. Il expliqua son problème au chef, qui se rembrunit à chaque mot tombé de la bouche du guerrier.
"Vous cherchez un mangeur d'homme. C'est les pires, ceux-là. Une fois qu'ils ont goûté au sang humain, ils deviennent.... plus vicieux, plus acharnés, comme si ils étaient impatients de recommencer. Je serai vous, je renoncerai."
Sans un mot, Kain exhiba son collier.
"Bah, si vous êtes décidé, j'en connais qu'un, de mangeur d'homme dans le coin. Il traîne près de la rivière, pour attaquer les jeunes du village qui s'aventurent trop loin pour s'y baigner. Si vous nous en débarrassez, on vous devra une fière chandelle, que ce soit le votre ou pas."
C'était une occasion à ne pas manquer. Le lendemain à l'aube Kain et Zébu se rendirent à l'endroit indiqué. Guettant les alentours, ils pensaient être préparés à toute éventualité, mais il ne virent pas l'animal. Caché dans les hautes herbes d'une colline, la bête fut bientôt derrière eux, le chasseur se retrouvant dans la situation d'être le chassé.
Kain eut à peine le temps de se retourner avant de se sentir projeté au sol sous le poids d'une masse de griffes et de crocs. Le coup déchira son armure de cuir, et la deuxième attaque du tigre planta une rangée de dents acérées dans son épaule. Kain, au bord de s'évanouir, porta d'en dessous deux attaques qui firent en retour rugir le fauve. Zébu, d'un coup de couteau de chasse dans la carotide, acheva l'animal agonisant.
Toussant du sang, Kain avala une, puis deux, puis cinq bières pour se remettre. Puis, toujours assis, il retourna la carcasse du mangeur d'homme, qui s'était bien révélé plus dur à abattre que ses congénères, comme l'avait prédit le vieux. Il ne reconnut malheureusement pas celui qu'il cherchait. Ceci dit, la bête avait comme un air familier.
"Pas possible." murmura le guerrier.
Le tigre était celui qui, des mois auparavant, avait envoyé Otto, le Gardien du Talion, dans le coma. En échouant à se venger, lui et ses deux compagnons, il avait vengé un ami. La volonté des astres était indéchiffrable.
Kain envoya un holoring à Otto, et se remit sur des jambes flageolantes, avant de passer une quatrième canine à son collier. Il savait qu'il n'abandonnerait pas sa chasse d'Yeux Jaunes, et cette bataille n'avait fait que renforcer sa détermination.
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Plus le temps passait, plus Kain avait la sensation d'aller nulle part. Avec son compagnon ils avaient parcouru les plaines médianes d'Est en Ouest, affronté taureaux, tigres, et même lions, mais rien n'y faisait, Yeux Jaunes était introuvable.
Ils étaient même revenus sur les lieux de son attaque, et avaient été étonnés de retrouver la carcasse de taureau pourrissante et les sacs de Bela et Zébu intacte, à peine usés par les pluies. Une longue trainée de sang sur un rocher rappelait même ce qui s'y était passé. Le sang de Zébu, de Bela? Ils n'auraient pas su le dire.
"Et tu peux pas le pister?" demanda Kain avec espoir, sachant que son ami avait gardé de son enfance sauvage d'étonnante aptitudes à la chasse.
"Une piste de 6 mois? T'es pas bien, non?" maugréa Zébu sombrement. Ca ne le mettait pas d'humeur aimable, de revenir à l'endroit où les griffes du tigre avaient tenté de lui arracher sa vie.
Ils étaient donc repartis le lendemain, vers des horizons inconnus, plus loin, toujours plus loin. Ils avaient trouvé un nouveau hameau, appelé Randome, mais là non plus on avait rien pu leur dire sur le vieil ennemi de Kain.
Un matin le soleil se leva sur les plaines, et ils eurent la surprise de voir une touffe de cheveux bleus se balancer au dessus d'un bosquet. En faisant le tour ils découvrirent Ashe Magnus, la célébre alchimiste des 6 Fleurs. Mais qu'est ce qu'elle pouvait bien faire là?
Ils le comprirent quelques heures plus tard, en arrivant aux bord d'une immense étendue de sable jaune, tranchée ça et là par de gros rochers pointus. Le Désert du Fléau. C'était là que l'expédition du prince des traitreux chacals, le belerin Gaius, allait tenter de violer une petite partie des secrets du passé. L'alchimiste était venue en éclaireuse pour les Alchimistes Républicains.
Ce soir ils dinèrent autour d'un feu de camp sur une colline sèche et rocailleuse qui dominait les vagues de sable, roulant jusqu'à perte de vue.
"Tu sais, ça me rappelle la mer." dit Zébu, après avoir fini son cuisseau de taureau.
"Y avait la mer, chez toi? demanda Kain, avec curiosité. Le guerrier n'avait jamais vu la mer.
"Pas loin. "
Le plus jeune remit une branche dans les flammes.
"On raconte une légende dans mon village, les soirs où la nuit est trop longue et trop froide. Celle d'un capitaine de bateau, qui s'était fait bouffer une jambe par une baleine."
"C'est quoi, une baleine?"
"Comme un poisson, mais en vachement plus gros. Bref, il la poursuit jusqu'au bord du monde, là où même la mer disparait dans le vide du ciel. Il lui consacre toute sa vie, chaque heure, chaque minute. Il ne peut penser à rien d'autre."
"Et, à la fin, il l'a tue?" marmonna Kain, qui commençait à ne pas aimer où la conversation allait.
"Oui."
"Ben tu vois, ça finit bien."
"Si on veut. Il meurt avec elle, lui et tout son équipage."
"Ah oui, du coup ça finit moins bien."
Se retournant dans son sac de couchage, Kain signifia que la soirée était terminée pour lui. Mais il ne put fermer l'oeil, hanté par les paroles de son compagnon.
Le lendemain à l'aube, pour la première fois, il se dit que c'était peut-être le moment d'abandonner. Il avait tué tellement de tigres, mais pas un n'était le bon. Personne n'avait répondu à son annonce, quelque soit la somme proposée. Allait-il y passer sa vie, à poursuivre une stupide descente de lit rayée?
Il doutait toujours, couché sur un lit de pierre, alors qu'ils guettaient un lion se prélassant paresseusement en dessous de lui dans une gorge rocheuse du désert. Le guerrier n'attendait que le signal de Zébu pour descendre la pente escarpée et fondre sur le gros chat endormi.
Mais au lieu du sifflement aigu, il entendit soudain un cri de souffrance. Le lion souleva sa tête, juste à temps pour voir Kain passer en courant devant de lui, et remonter l'autre côté de la vallée.
Lorsqu'il arriva là où Zébu était sensé faire le guet, plus de Zébu. A sa place une flaque de sang, et une piste rouge qui disparaissait derrière des rochers. Sans s'arrêter Kain courut le long des traces, et s'enfonça dans un couloir de pierre naturel. Au bout une sorte de clairière, entourée d'énormes rochers pointus, et un Zébu Rayé flageolant sur ses jambes, le torse ensanglanté, qui repoussait au bout de son fléau... Le coeur de Kain s'arrêta de battre.
"Toi!" cria-t-il.
Yeux Jaunes se détourna de sa proie, et le fixa du regard qui habitait ses nuits depuis bientôt 6 mois. Un regard rusé, cruel, et avide de sang. Mais cette fois le guerrier crut y voir de la peur, aussi.
"Tu t'en prend encore à mes compagnons? Pas le courage de m'affronter en face?"
Ses babines retroussées sur des dents immenses, pointues et rougies, Yeux Jaunes commença lentement à tourner autour du guerrier. Zébu essaya de venir lui prêter main forte, mais Kain lui hurla de reculer.
"A moi! Il est à moi."
Ils tournèrent bientôt de concert au centre de l'arène improvisée. Aucun des deux ne se sentait de porter le premier coup, et de s'exposer à une attaque. Kain s'aperçut, étonné, que ses mains ne transpiraient pas sur la poignée de son énorme épée bâtarde. Il n'avait pas peur. Avec un sourire, il posa la pointe de l'épée sur le sol, et agita le collier de dents de tigre en direction de son adversaire.
"16. J'ai tué 16 de tes frères et soeurs. Et toi tu n'arrives même plus à finir un seul de mes amis.
Avec un rugissement de rage, le tigre bondit. Mais le guerrier, qui s'y attendait, reprit son arme dans ses deux mains, et porta un coup circulaire à une vitesse étourdissante.
L'animal reçut la lame dans les airs, une attaque plus puissante que Kain n'en avait jamais faite. Un craquement sinistre se fit entendre. Plusieurs craquements en fait, les côtes du tigre se faisant l'écho du métal torturé, l'épée se fendant en même temps que le tigre était projeté contre un mur.
Kain regarda avec inquiétude la fissure qui parcourait sa lame, mais celle-ci paraissait encore pouvoir tenir un assaut ou deux. Il s'était à peine remit en position de combat que le tigre, malgré ses terribles blessures, revenait pour sa revanche. Mal lui en prit. Sans même que Kain ne fasse autre chose que lever son arme, il s'y empala, ses griffes battant inutilement l'air à quelques pouces du visage du guerrier. Celui-ci regarda avec incrédulité le lumière quitter les yeux jaunes, qui l'avait fixé si longtemps dans ses rêves.
La surprise passée, il se mit à rire. Un rire immense, inextinguible, qui résonna sur les parois rocheuses.
Zébu s'approcha de la carcasse, toujours embrochée sur l'épée. Il sortit son couteau à dépecer.
"Non." dit alors Kain, reprenant difficilement son souffle. "J'ai un meilleur usage pour cette carcasse qu'un énième ornement chez le tanneur."
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En arrivant à Stella, alors que l'expédition vers les ruines commençait à s'organiser dans les rue de la cité céleste, Kain se rendit immédiatement dans le quartier commerçant. Première étape: changer son épée.
Le forgeron regarda avec effarement l'état de sa lame, fissurée et rongée par la rouille et le sang. Il allait protester mais, après un regard sur le visage fermé du guerrier, il lui reprit l'arme à sa valeur ordinaire. En lui redonnant la pareille, il lui demanda si il voulait aussi le même petit service. Devant le regard d'incompréhension de Kain il montra le tigre gravé dans l'épaisseur du métal.
'Non, ça ira, merci. J'ai trouvé mieux.' répondit Kain, laconique.
Sa destination suivante était à deux rues de là, la boutique d'un tailleur que Kain avait connu toute son enfance, petit bonhomme qui passait ses journées dans son atelier, assis au bord de sa fenêtre à couper et coudre ses étoffes.
L'homme ne reconnut pas Kain, qui ne ressentit pas le besoin de lui rappeler le passé. Quand le guerrier jeta la carcasse sur le comptoir et lui expliqua ce qu'il attendait de lui, il fit la moue.
'C'est une drôle de requête, ça.'
'Je ne vous paie pas pour vos avis.'
En haussant les épaules le tailleur signala qu'il y faudrait au bas mot deux semaines.
Kain partit donc le lendemain pour les ruines, pour y éprouver la force qu'il avait gagné à traquer son vieil ennemi, la force qui, à la fin, l'avait terrassé.
Après avoir affronté pièges et énigmes, monstres venimeux et terribles créatures légendaires, il reçut un holoring qui fit battre son coeur plus fort. Voriin Erbalunga avait pris livraison de son paquet en passant par Stella, et le lui amenait dans les ruines.
Dans la salle où le Behemoth projetait son ombre démesurée, les deux guerriers se rencontrèrent enfin. Kain prit le colis informe enveloppé dans un sac de jute jaune avec des mains tremblantes.
Il déploya son contenu, et le passa sur ses épaules. Les deux pattes étaient ornées d'un fermoir qu'il rabattit sur sa poitrine, cachant son collier de dents. Enveloppé de la peau de son ancien ennemi, il se sentait envahi d'une force invincible.
Il fouilla dans son sac, et en sortit le miroir dont il se servait pour se raser. Ce qu'il vit dedans lui fit presque un choc. Son visage avait fondu avec les dureté du voyage, une balafre, cadeau d'un mangeur d'homme, zébrait sa joue droite. Avec la tête du tigre dont les yeux jaunes n'étaient plus que deux pierres précieuses, il avait franchement l'air effrayant.
Il se demanda ce que dirait le jeune homme qui était parti à l'aventure tant d'années auparavant, loin du quartier commerçant de Stella, loin de la vie tranquille de ses parents, si il croisait celui qu'il était devenu. Il changerait sûrement de trottoir.
Mais c'était ça la vie après tout, le changement. Bien enveloppé dans l'ancien objet de ses terreurs il se prépara à attaquer le Behemoth. Qu'importe l'ennemi. Il était persuadé qu'à la fin, ce serait lui le gagnant.
Dernière modification par Kain (01-02-2010 00:10:22)
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